93SANG/CH12 : Sharon Stone
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Sharon est entrée chez le Coréen un samedi soir à minuit. En pleine heure de pointe. Une voiture noire l'a déposée devant le rade, la portière s'est ouverte, et Sharon est descendue. Du moins en est tombée. Elle est arrivée au comptoir, comme par magie, d'une démarche chaloupée. Dès comme ça, on en voit pas beaucoup dans le quartier. Et ça se voit qu'elle est pas d'ici. Dans les 20, 25. Sapée chic. Tous les mecs présents l'ont matée, c'est clair. J'ai pas échappé à la règle, en plus elle est venue se poser à coté de moi, à l’extrême bout du comptoir. Des fois, j’attire les emmerdes. Tout de suite on a vu qu'elle était perchée. Un flou dans les yeux, magnifiques par ailleurs. Un truc dans la démarche, dans la posture. Elle était défoncée, c'est clair. Et une bonne partie des mecs se voyaient déjà en train de la tirer, à la crade, dans les chiottes, ou au pieu...
Elle me dit « bonjour », et puis « c'est pas mal ici ». Je dis rien, j'hoche la tête. Elle dit « vous m'offrez un verre, un café ? ». Je dis oui de la tête, et j'appelle la serveuse. Je vide mon verre, comme ça elle vient pas pour rien. Sharon dit encore « la même chose » à la serveuse, d’une voix aussi humide que sa petite chatte, je me dis. Et puis on s'installe dans le silence. Enfin moi surtout. Sharon fait son numéro, et je ne sais pas très bien ou elle va. Je n'ai pas envie de la ramener chez moi, mais en même temps, j'ai pas trop envie de la laisser entourée des prédateurs présents. Si encore Dom était la.
Sharon m'explique qu'elle revient d'une fête. Que ses potes l'ont laissé la. Elle demande ou est la gare. Mais y'a pas de gare ici... Elle dit qu'elle habite au Vésinet. Ça fait une trotte.
Tonino s'est approché du comptoir. Amar aussi. Kevin et quelques audacieux. Ils ont levé leurs culs des chaises, ils ont quitté les conversations en cours, pour venir découvrir l'égarée. Ils sont tous prêts à payer leur tournée, pour peu qu'ils puissent la fourrer, ou espérer qu'ils vont y arriver. Sharon est radieuse. Sure de son effet sur les mecs présents, qui bavent en la regardant. Je m'éclipse un moment. Dehors, sous les étoiles, je fume un joint en Suisse, tout seul. J'aime pas l'imprévu, surtout quand c'est une môme de vingt piges, complètement perdue, et perchée. Et je me demande bien quoi faire...
Je retourne au comptoir. Mon tabouret m'attend, personne n'a osé. C'est bon d'être respecté. Quelqu'un a fait recharger mon verre. Le mazout est la, Sharon aussi. Comme si elle m'attendait. Comme si elle savait que je ne la toucherais pas, et que je devais bien être le seul dans cet état d'esprit. Elle dit « vous voulez une cigarette ? ». et elle pose son sac sur le comptoir. C'est un sac énorme, genre cabas à courses qu'on porte en bandoulière. Sauf que celui la est en cuir, et que ça a pas l'air d'être un faux ou une copie. Elle fouille dans son sac et ne trouve pas. Alors elle se met à vider ses affaires, comme ça, sur le comptoir. Paquet de kleenex, petite boite de tampons, un portefeuille gros comme un bottin, trousseau de clefs... Dans le bar, une silence s'est fait. Au comptoir, tous mes potes ont coupé leur souffle. La, sur le comptoir, parmi le bazar, un petit truc noir focalise tous les regards. « Oh, ma culotte... » dit Sharon, l'air ravie, « je suis contente de l'avoir retrouvée ».