Loi LPPR: une fausse bonne idée? par Tancrède
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Un évènement pourrait bien révolutionner la recherche en France en cette fin d’année 2020 : la proposition de la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche est actuellement examinée par la Commission Mixte Paritaire du Parlement, et sera probablement promulguée en tant que loi d’ici peu. Si ce texte de loi, ou son surnom “LPPR”, vous dit quelque chose c’est qu’il a fait couler beaucoup d’encre depuis son annonce en 2019. Le but avancé de ce texte écrit par le gouvernement est pourtant noble : d’abord “réinvestir massivement dans la recherche publique” dont le financement est jugé à la traîne par rapport aux autres pays de l’OCDE. Ensuite, “revaloriser tous les métiers de la recherche” et “engager une démarche générale de simplification, touchant tant les établissements que les laboratoires et les personnels de recherche”. On peut donc se demander pourquoi quiconque serait opposé à ces mesures.
Et pourtant, de l’opposition, ce projet de loi en a rencontré beaucoup : si les milieux de la recherche y sont d’abord favorables quand le gouvernement annonce début 2019 la création de groupes de travail chargés de réfléchir à la réforme de la recherche, vers la fin de l’année une première polémique éclate. Antoine Petit, PDG du CNRS et président d’un des groupes de réflexion déclare pendant une interview qu’il désire que la LPPR renforce les inégalités dans le milieu de la recherche afin d’augmenter la concurrence, et donc l’innovation selon la logique libérale. Cette petite phrase n’a pas laissé indifférent•es les universitaires, et fin 2019 un mouvement de protestation est lancé contre la loi, dont le texte n’était encore ni public, ni même complétement écrit. Ce mouvement rejoint, et est renforcé par celui dû à la réforme des retraites de décembre dernier. Début 2020 de nombreuses organisations liées à la recherche publient des motions contre la loi, y compris les conseils scientifiques et des présidents du CNRS. Des revues scientifiques et des professeur•es d’université entament des grèves. 710 directeur•rices de laboratoires signent une tribune contre la réforme dans laquelle iels menacent de démissionner de leurs postes administratifs. En juillet, la proposition de loi est finalement rendue publique peut enfin être examinée. Cela permet aux institutions et au syndicats de donner leur avis.
L’opposition immédiate des syndicats au projet de loi n’a pas surpris, mais il n’a pas non plus convaincu les diverses institutions officielles dont le rôle est d’exprimer un avis dans ce genre de situation : le Conseil d’État (qui conseille le gouvernement), le Conseil Économique, Social et Environnemental, et la commission des affaires économiques du Sénat s’accordent à dire que les mesures prises par la loi sont globalement insuffisantes par rapport à ses ambitions, et parfois même contre-productives. Cela n’a pas pour autant empêché le texte d’être accepté par l’Assemblée, puis par le Sénat après révision. Voici certains des points principaux de la loi :
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Une augmentation du financement de la recherche publique de 25 milliards d’euros répartie entre 2021 et 2030, avec une augmentation progressive du budget : 400 millions en plus en 2021 par rapport à 2020, puis 400 de plus en 2023… jusqu’à 2030 où le budget aura augmenté de 5 milliards par rapport à 2020, pour un total de 20 milliards. Le but étant que la recherche publique ait un budget équivalent à 1% du PIB.
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Une revalorisation des salaires de tous les métiers scientifiques, avec par exemple l’objectif d’arriver à un salaire de 2 fois le SMIC au minimum pour les nouveaux chargés de recherche.
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La création de nouveaux types de contrats en lien avec la recherche :
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La chaire de professeur junior (ou tenure track), une nouvelle manière d’obtenir le poste de professeur•e. Aujourd’hui, pour le devenir, il faut avoir un doctorat, être habilité•e par le CNU à devenir maître•sse de conférence, postuler à une université et être sélectionné•e pour le devenir, puis enfin passer le concours de professeur•e. Cette nouvelle voie de recrutement, plus simple, permet aux universités de recruter des jeunes doctorant•es en tant que contractuel•les pendant 3 à 6 ans, avec une aide budgétaire en prime, avant de leur accorder un poste de professeur•e titulaire.
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Le CDI de mission scientifique, un contrat limité à 6 ans qui permet le recrutement de personnel pour la durée d’un projet. Grâce à cela, un établissement pourrait par exemple recruter une personne le temps de réaliser une étude.
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Le contrat doctoral permettant à des doctorant•es de décrocher un doctorat en travaillant en entreprise.
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L’interdiction progressive d’utiliser des animaux vivants dans l’enseignement supérieur, sauf dans le cas des écoles vétérinaires.
Les rapports des institutions évoquées plus hauts font remarquer que l’augmentation promise de 25 milliards mise en avant par le gouvernement ne prend pas en compte l’inflation. Autrement dit les 5 milliards promis pour l’année 2030 pourraient avoir une valeur bien inférieure à ce moment. Si on ajoute à cela l’augmentation du PIB, il semble impossible que le budget de la recherche publique atteigne les 1% du PIB promis en 2030. Et de toute manière, les lois de programmation n'étant pas contraignantes, et les prochaines élections présidentielles étant en 2022, rien ne dit que la recherche verra un jour les 23,8 milliards promis pour 2023 à 2030. Les observateurs font aussi remarquer que les nouveaux contrats ne répondent pas forcément à une nécessité pour la recherche, mais contribuent à augmenter à la fois le nombre de contractuel•les, qui sont plus précaires que les fonctionnaires titulaires et ne peuvent pas prétendre aux mêmes salaires, et la concurrence au sein des personnels de la recherche.
Ces critiques ne semblent pas avoir été prises en compte lors du passage de la loi au Sénat : le texte tel qu’il y a été voté reste en grande partie le même, à ceci près que les pouvoirs des président•es d’établissements sont renforcés en leur donnant la capacité de choisir les modalités d’embauche, et l’examen de la loi ayant eu lieu deux jours après l’attentat de Nice, et une semaine après que le ministre de l’Éducation Nationale a déclaré vouloir lutter contre les “ravages de l’islamo gauchisme à l’université”, deux articles visant à “combattre les séparatismes” ont été ajoutés. Le premier est purement symbolique et subordonne les libertés académiques aux valeurs de la République, et le second vise à punir d’un an d’emprisonnement le fait d’entraver un débat organisé dans une université. Cela a ravivé les critiques de ce texte. Si à l’heure où cet article est écrit, le texte adopté par la Commission Mixte Paritaire n’est pas public, des échos semblent pointer vers un nouvel amendement qui punirait par trois ans de prison le fait de bloquer une université, et la mise en retrait du Conseil National des Universités. Cette série d’évènements a ravivé les critiques du texte et a fait connaître ce projet de loi au grand public. La commission permanente du CNU a demandé au président de la République le renvoi de Mme Vidal, mais il est peu probable que le texte ne soit changé jusqu’à son adoption, bien que des doutes subsistent quant à la constitutionnalité de certains points de la loi. Dans tous les cas, il est impressionnant de constater qu’en presque deux ans de construction, ce texte n’aura jamais réussi à convaincre grand monde.