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Mystère à Beaulieu


Laissez-moi vous raconter une histoire qui m’est arrivé il y a quelques semaines, ou quelques mois… Exactement je ne me rappelle pas, car tout ce qui a suivi cet évènement est dorénavant entouré de brouillard et j’y replonge aujourd’hui avec l’appréhension de trouver quelque chose qui n’aurait pas dû être déterré.


Vous dire que ce jour-là il faisait beau, les oiseaux chantaient et les sourires sous les masques se devinaient serait malhonnête, puisque comme je vous l’ai dit j’ai oublié beaucoup et je peux juste supposer qu’il ne pleuvait pas, car ce jour-là, je faisais des photos. Grand aficionado de l’architecture mid-century modern, un style caractéristique des années 1950-1960, particulièrement bien représenté aux USA, j’en retrouve l’esprit à moindre coût dans un lieu pour le moins emblématique de Rennes. Je ne ne parle pas de la Tour des Horizons, mais bien du campus de Beaulieu. Muni de mon précieux appareil, j’arpentais d’un pied volontaire les allées lorsque mon regard accrocha le
profil du bâtiment 2A. Quelles lignes ! Quelle façade présomptueusement vitrée ! Mon regard toujours accroché, je poussais la porte battante avec le sentiment que, de chacune de ses cellules, mon corps me poussait à l’intérieur, et cela aurait dû me mettre en garde.


Un flot de lumière irréelle irradiait le sol marbré, contre lequel mes chaussures faisaient squik squik, alors que je traversais le hall dans sa largeur. Je voulais voir la verrière dans toute sa perspective. Face à elle je reculais, je reculais, m’attendant à l’instant à sentir sous mes mains les aspérités rassurantes du mur. Il n’en fût rien. Mes mains battaient dans le vide et je me retournai, livide. Devant moi se tenait une porte, ouverte sur un couloir qui semblait sans fin. La peur me saisit soudain, alors que l’obscurité vrombissante semblait me happer. Mes phalanges crispées sur l’encadrement semblaient seules se demander « faut-il y aller ? ». Est-ce la curiosité ou autre chose qui prit le pas sur la peur ? Mes jambes avancèrent et la seule rémanence de la réalité devint le squik squik de mes chaussures dans l’ombre, la sensation des aspérités des murs et mon souffle court, sourd. Squik après squik, le vrombissement spectral prenait corps, et lorsque j’arrivai au bout du couloir, la peur laissa place à la surprise. A ma gauche et ma droite se trouvaient deux salles informatiques. J’entrai dans celle de droite. La dizaine de postes, oisifs, ronflait doucement, tandis le jour filtrait à travers les rideaux diaphanes. Le tout bordé d’une peinture orange qui m’aurait fait
saigner les yeux en tout autre circonstance, mais qui paraissait ici douce et paisible.


A contrecœur, je m’arrachai de l’endroit et revint sur mes pas. Je sortis du couloir, puis du hall à moitié sonné et dégringolai les escaliers. Je n’entendis pas l’agente d’accueil qui me fit certainement « au revoir ! » et me retrouvai chez moi sans trop savoir comment.


Le lendemain, je retournai dans le hall du bâtiment 2A, comme j’allais y retourner sans relâche chaque jour depuis. Je maudis et je bénis cette journée où je connus la plus grande félicité et je revois encore les rangées d’ordinateurs étincelants qui n’attendaient que d’être utilisés. Dans mes narines flotte encore le parfum de calme et de sérénité qui permet la révision la plus parfaite. Car désormais le mur du fond n’est qu’aspérités et double portes, qui mènent vers des amphis ternes. En effet, de tout cela hélas, il ne me reste rien, mais je sais que dans longtemps, bien longtemps, quand j’aurai oublié jusqu’au tableau périodique des éléments, je me souviendrai encore de ce jour. Et peut-être qu’un jour, qui sait, vous aussi, au détour de vos pérégrinations dans le 2A vous tomberez sur ces mystérieuses salles.

Etranges escales à Beaulieu.PNG
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