Don du sang: l’apologie du couple hétérosexuel monogame?
est, vous vous êtes encore fait recal par l’EFS (Etablissement Français du Sang), vos potes cathos vont pouvoir vous traiter de débauché.e et en plus vous n’aurez pas droit au sandwich de consolation. Vous avez envie de vous insurger, crier que de toute façon, ce ne sont que des gros réacs, mais pas la peine, je vais le faire pour vous. Parce que oui, l’EFS fait l’apologie du couple hétérosexuel monogame, mais c’est pas vraiment leur faute: c’est plus compliqué que ça.
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Déjà l’EFS, qu’est-ce que c’est ? C’est près de 600 000 patient.e.s transfusé.e.s chaque année, 1 millions au total soigné.e.s grâce aux produits sanguins et dérivés. [1] Tout ça, grâce aux dons bénévoles de gens randoms. Enfin pas tellement, puisqu’ils ont tous entre 18 et 70 ans, qu’ils pèsent plus de 50 kilos, n’ont jamais subi de transfusions sanguines, n’ont jamais eu de cancer, ne prennent pas de drogue par voie intraveineuse [2], et mangent 5 fruits et légumes par jour (non ça j’avoue j’en sais rien). En fait il y a beaucoup plus de critères, et ce n’est probablement pas ceux sus-énoncés qui vous ont posé problème, le plus souvent ce sont les pratiques sexuelles qui sont en cause. Je vais peut-être vous apprendre un truc, mais si vous avez eu plus d’un partenaire (sauf relations exclusivement entre femmes) dans les 4 derniers mois, vous ne pouvez pas donner. Même chose si vous êtes un homme et que vous avez eu une relation avec un autre homme dans les 4 derniers mois.
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Alors avant que vous ne vous mettiez à vociférer « Han, mais c’est dégueulassEU ! » je vous propose de prendre une chaise, et respirer profondément : inspirez par le nez, soufflez par la bouche. Sentez l’air frais qui pénètre dans vos poumons et gonfle votre ventre, vos chakras qui s’ouvrent, votre troisième œil et ce que vous voulez, parce que là, on va se demander pourquoi ces critères.
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Sans surprise ils existent évidemment pour protéger le receveur.se, d’infections transmissibles par le sang, et dans ce cas on pense notamment aux virus de l’hépatite B (VHB), C (VHC) et du sida (VIH) [3], qui se transmettent également par voie sexuelle. Et là, citoyen.ne éclairé.e que vous êtes, vous vous interrogez : « Mais puisque chaque poche de sang est testée afin de détecter un potentiel agent infectieux [4], [7], pourquoi ces interdictions ? » Et bien en fait, il y a deux raisons. La première, c’est que pour la plupart des infections, dont VHB, VHC et VIH, il existe une fenêtre sérologique ou silencieuse, pendant laquelle le virus, bien que présent dans l’organisme, est indétectable [5], [6]. Mais en vérité, la performance des tests et les dispositifs de quarantaine réduisent considérablement ce risque, et c’est principalement afin de réduire le risque résiduel de contamination qu’on trie sur le volet les candidat.e.s au don. Le risque résiduel c’est le 0,001% des 99,999% de fiabilité d’un test, c’est le risque qu’une poche contaminée passe à travers chacune des mailles du filet et arrive jusqu’au receveur.se. Ce risque il est minuscule, et se réduit année après année [8], mais les conséquences en sont dramatiques.
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Mais du coup, comment se justifie cet écartement de certaines populations de la possibilité de donner ? Là encore, deux principaux facteurs. Un historique d’abord : 1983, c’est l’affaire du sang contaminé. Pour la faire courte, des poches contaminées par le VIH (un virus bof connu à cette époque) ont été transfusées à quelques milliers de personnes. L’affaire a été méga-médiatisée et a eu des conséquences énormes que je vais pas détailler, vous irez checker la page Wikipédia si vous voulez. Le risque d’exposition au VIH étant plus important chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) que chez le reste de la population, ne circulaire de 1983, renforcée par des textes successifs en 1993 et en 1997 et formalisée par un arrêté de 2009, les exclut purement et simplement, de façon définitive, du don du sang [10]. Voilà donc vous êtes un papi, vous avez 65 ans et vivez votre meilleure vie, et vous décidez, entre deux parties de pétanque, d’aller donner votre sang. Or si, épargné par l’Alzheimer précoce, vous vous souvenez que vous avez effectivement eu une relation avec un autre homme quand vous aviez 15 ans, et bien là c’est ciao, retour au terrain de pétanque. Ce n’est qu’en 2016 que l’interdiction de relation sexuelle avec un autre homme passe de « une fois c’est mort » à « aucune dans les 12 derniers mois », et en avril 2020, cette interdiction ne concerne plus que les 4 derniers mois précédant le don. [11] Ces avancées, elles se basent sur le deuxième facteur justifiant les interdictions, qui est aujourd’hui prépondérant sur l’aspect historique : les données épidémiologiques. il existe des comportements à risque (et non pas des populations à risque) [12]. (Fig.1 : Exemple du VIH. UDI: Usager.ère de Drogue Injectable, HSH: Homme ayant des relations sexuelles avec des hommes)
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Et donc les réglementations, elles se basent sur ces données épidémiologiques : où surviennent les nouvelles incidences? Après d’un point de vue purement individuel, vous courez un risque de contamination au VIH ou VHB lors d’une pratique sexuelle dès lors que du liquide physiologique (de type sperme ou cyprine) entre en contact avec des muqueuses. (Pour le VHC c’est un peu plus obscur mais bon OSEF quoi) Et comme je suis sympa, je vous ai fait une capture d’écran de la page IST de Wikipédia, répertoriant les risques de transmissions par pratique sexuelle (Fig.2).
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Ok, donc maintenant on est contents, on sait que les contre-indications sont liées à des données chiffrées, officielles, solides (comme un rock), que vous pourrez retrouver dans les sources de cet article, pour ce qui concerne les HSH du moins. Oui, car petit bémol : des données épidémiologiques sur le taux d’incidence de séropositivité au VIH pour les personnes ayant plus d’un partenaire sexuel dans les 4 derniers mois (que nous appellerons PAPUPS 4DM, puisqu’ici on adore les acronymes et qu’en plus ça fait un peu boys band de contrefaçon), bah j’en ai pas trouvé. Je suis même allée au Don du Sang (car oui, je ne suis ni HSH, ni UDI, ni PAPUPS 4DM) demander des chiffres au médecin, on m’a dit « Bonne chance fréro, déjà moi ma demande de mutation ça fait 5 ans que j’en ai pas de nouvelles, alors toi tes données tu peux déjà leur brûler un cierge » (discours librement adapté du jargon médical). Pour un établissement qui prône la transparence, dès qu’on rentre dans le vif du sujet c’est quand même moyen accessible.
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Mais bref, l’heure est déjà venue de répondre à notre question initiale : Apologie du couple hétérosexuel monogame ou non ?
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Eh bien, indirectement oui. Parce que ce qu’il faut bien comprendre que s’il existe des populations aujourd’hui plus touchées, c’est qu’elles ont été stigmatisées par le passé. Et que dans les 150 dernières années de progrès scientifique et médical on s’est plutôt attaché à comprendre et prévenir les risques d’un comportement “de norme”: l’hétérosexualité monogame. Il s’agissait là uniquement d’une problématique de santé publique, dont ont été écarté.e.s gays, toxicos, prostitué.e.s, etc...
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Et cette histoire de norme, c’est aussi un principal facteur de l’équation « Quel risque est-on prêt à accepter ? » Car on a besoin de sang, mais on veut également minimiser le risque résiduel. La définition des critères de discrimination des donneurs ne vise qu’à maximiser ces deux paramètres : nombre de volontaires, réduction du risque résiduel. C’est ce type d’étude qui a été réalisé par exemple pour l’ouverture au don des HSH en avril 2020. Deux scénarios : 1) aucune relation dans les 4DM, 2) Une relation dans les 4DM. Dans le premier cas, le risque résiduel est le même que pour un ajournement de 12 mois, dans le deuxième il est 1,5 fois plus élevé. Boum plié. [13]
On comprend donc bien que c’est parce que le couple hétérosexuel monogame est la norme qu’on a un grand nombre de donneurs potentiels car sains. Et pourquoi sont-ce des donneurs potentiels car sains ? Parce que c’est la norme. Boum, paradoxe, boucle de répétition infinie, serpent se mordant la queue. (les philosophes, informaticien.ne.s et biologistes en pls).
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On va bien sûr pas se quitter là-dessus, mais plutôt essayer de voir comment on peut s’en sortir et quitter ce système de discrimination. La première étape c’est déjà d’en avoir conscience, mais si vous avez lu mon article jusqu’au bout c’est déjà fait, donc on abrège et on passe à l’étape suivante comme des bg, qui est de changer ce qu’on peut changer. C’est commencer par parler de « comportements à risque » plutôt que de « populations à risques », et d’autoriser le don en cas de pratiques non-hétérosexuelles monogames lorsque celui-ci ne présente pas des risques, comme le multipartenariat pour les relations entre femmes ou le don de plasma pour les HSH, rendu possible grâce à la longue durée de vie du plasma, qui permet une mise en quarantaine.
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Et qui sait peut-être qu’un jour les PAPUPS 4DM auront aussi droit à leur sandwich ?
Sources:
Encadrement légal: Article L1222 du Code de la Santé Publique
[1] Les besoins en sang - Etablissement français du sang | Etablissement francais du sang (sante.fr)
Les produits sanguins labiles | l'Etablissement français du sang (sante.fr)
[3] Infections transmissibles par transfusion (ints.fr)
[7]Sécurité transfusionnelle (ints.fr)
[5] FENÊTRE SÉROLOGIQUE | Reactup (2 et 5 semaines VIH)
[6]Microsoft PowerPoint - 3 - Hépatite C_Dialin Scholtès.pptx (cpias-auvergnerhonealpes.fr) fenêtre séro VHC
Tests bio. effectués : parcours d une poche de sang (e-monsite.com)
[8] Il y a 30 ans, c’est 2-3 poches contaminées qui étaient transfusées, aujourd’hui on est plutôt de l’ordre d’1 tous les 2-3 ans. (Source: entretien avec une docteure quand je suis allée donner mon sang le 08/04/2021, allez-y et demandez si vous ne me croyez pas sur parole)
[9]L'affaire du sang contaminé - Persée (persee.fr)
Le risque de transmission par acte sexuel, évaluation 2015 | Reactup
Des bases pour comprendre : VIH / sida, c’est quoi ? | Reactup
[12]Surveillance des hépatites B et C (santepubliquefrance.fr)
(Fig.1)VIH/sida - Santé publique France (santepubliquefrance.fr)
UDI: Usager.e de drogue injectable
(Fig.2) Pratiques sexuelles et risque de contamination. Infection sexuellement transmissible — Wikipédia (wikipedia.org
(Fig.2) Pratiques sexuelles et risque de contamination.
Infection sexuellement transmissible — Wikipédia (wikipedia.org)
Rapport_Veran_filiere-sang.pdf (solidarites-sante.gouv.fr) (17/07/2013)
Baromètre santé 2016. Genre et sexualité (santepubliquefrance.fr)
Article - Bulletin épidémiologique hebdomadaire (santepubliquefrance.fr)*
