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Regards Croisés : Comment vivez-vous votre scolarité à la fac
 

La Fac une voie royale vers l’émancipation?

 

 

          À l’occasion, des débats sur la très contestée loi El Khomri sur la sélection à la fac, je me souviens avoir demandé à mon grand frère, titulaire d’une licence d’histoire et désormais charpentier, s’il avait eu le sentiment d’avoir perdu trois années de sa vie en faisant une licence au lieu du CAP charpente, ce à quoi il m’avait répondu « Tu dis d’la merde frèr’, mes années facs, ça m’a géchan : les trips d’étudiants, les bars, et les zouaves que tu captes, le ciné, la débrouille et les bails politiques, c’était ouf. » Au-delà du système syntaxique que mon frère garde de ces années-là (j’exagère à peine), il avait une véritable foi envers les vertus de la fac et il jugeait que c’était une expérience que tout le monde devrait avoir le droit de faire. Ce constat profondément positif sur la fac est-il partagé par les étudiant.es de Beaulieu ?

 

          L’autonomie universitaire, une mise en liberté ou un abandon des élèves?

          Alors déjà, il y a une question de temps selon Anna en L3 de droit « Au lycée, on a pas vraiment de temps pour s’intéresser à des sujets particuliers alors qu’à la fac tu peux. ». C’est vrai que ce point est un des éléments souvent mis en avant dans l’identité du modèle universitaire comme un modèle où l’étudiant doit être autonome et approfondir de lui-même ses connaissances (À ne pas confondre avec le mythe du “onfoutrienàlafac”). Pour autant la question de l’autonomie est assez clivante dans la forme qu’elle prend. Certains élèves y tiennent beaucoup comme Clémence en L1 biologie “on a plus de liberté pour le travail, plus les profs sur le dos c’est vraiment agréable” ou son ami Théo “je trouve ça vraiment bien d’avoir à travailler pour soi sans comptes à rendre, d’aller fouiller dans les livres par curiosité”. Pour autant, beaucoup se sentent délaissés comme Jérémy qui “a parfois l’impression de bosser en autodidacte", notamment en raison du distanciel ou Sarah qui juge que « le temps d’adaptation au travail personnel est difficile » et que « pour certains cours, c’est service minimum pour avoir ses exams ».

 

          Se spécialiser c’est construire son identité

 

          Par ailleurs, selon certain.es élèves, la spécialisation leur a vraiment permis de se découvrir en tant qu’individu. Guillaume nous confie que «rencontrer des gens avec une passion commune ça m’a aidé à m’affirmer, je me sens plus libre dans ce que j’aime vraiment, genre le naturalisme. Au lycée, je ne connaissais personne d’autre qui s’intéressait à ça. ». Même constat pour un petit groupe de L1 qui batifolait dans les jonquilles du campus : « Les promos de licence, ça permet de creuser des activités communes genre faire pousser des plantes ». À ce stade, on peut se demander où je trouve mes enquêtés : naturalisme? Amour des plantes vertes? on pourrait se croire à l’amicale du jardin des plantes mais en fait ce sont juste les L1 biologie qui ont littéralement envahi le campus. Je crains même qu’il faille bientôt les classer en espèce invasive même s’iels sont trop mignons. Sur d’autres plans du développement personnel, beaucoup d’étudiants notent que la fac, c’est très “hétéroclite” et qu’on peut rencontrer des gens très différents. Je pense qu’une analyse du profil socio-économique des étudiant.es nuancerait un peu cette diversité un peu idéalisée mais en tout cas iels sont nombreu.ses à sentir une plus grande tolérance envers les populations discriminées.

 

          La Politisation, un mythe?

 

          Au contraire, les étudiant.es de Beaulieu étaient plus mitigé.es sur la question de la politisation à la fac. Il faut dire que c’est un processus compliqué, on entend souvent par là une certaine émancipation politique vis-à-vis de ses parents ou de son milieu d’origine mais selon Simon “on était tous un peu politisé.es avant d’arriver”, un constat sur lequel s’accorde Charlotte “la politisation s’est faite au lycée”. Certain.es confessent même un certain désintérêt « non et je n’y porte pas trop d'intérêt, juste je sais vaguement les basiques » qui est prolongée d’une revendication régulière « d’apolitisation ». De l’avis général, il y a peu d'instances formelles de politisation à Beaulieu : “il y a quelques groupes mais c’est pas flagrant” selon Paul. Selon Tatiana la transmission se fait plutôt « par les rencontres » de façon interpersonnelle. C’est d’ailleurs quand elle est introduite dans le cadre de relations spontanées “avec les amis ou des connaissances” qu’elle est plus “efficace” selon Jules. On peut supposer que, considérant la taille du campus, pour se politiser, il faut chercher les groupes donc faire preuve d’une certaine motivation dans ce sens. On voit que le problème d’un égal accès aux milieux politiques étudiants se pose si celui-ci doit reposer entièrement sur de la cooptation ou sur une forte motivation individuelle.

 

          Préservons la fac et ses opportunités!

 

          Ces caractéristiques suffisent-elles à justifier le passage à la fac ? Selon moi, il n’y a pas de doute mais il s’agirait que les élèves aient l’opportunité de découvrir tous ces atouts grâce à des systèmes d’intégration mieux pensés et plus visibles comme des fêtes d’intégrations qui donneraient de l’espace aux associations ou des systèmes de parrainages efficaces. Par ailleurs, notre attachement au système universitaire ne doit pas nous empêcher d’exiger des améliorations. Cela fait par exemple un bon moment que les élèves réclament de repenser le système d’enseignants-chercheurs qui conduit certains enseignant.es, parfois malgré eux, à négliger leurs étudiant.es. De même pour le manque de moyens criant des universités qui empêche des initiatives pédagogiques plus innovantes et source d’intégration comme les sorties de promos. Le parallèle avec les systèmes parallèles plus « côtés » sur le marché de l’éducation est douloureux : prépas, IUT et écoles ont pu, pour une grande partie, rester en présentiel, ils bénéficient généralement de plus petites promos, avec plus de suivi et des professeur.es généralement consacrés à 100 % à la qualité de leur cours. La fac a des qualités énormes, espérons que le ministère des études supérieures s’en rende compte un jour et agisse pour le préserver.



 

La Fac, le chemin de la désillusion ?

 

          Réorienté.e.s, désorienté.es, ou en pause plus ou moins prolongée, tout le monde à dans son entourage au minimum une personne que la fac a désenchantée. Pour ma part, j’ai ma propre personne. L’épanouissement n’est pas vraiment au rendez-vous, et parmi mes fellow students je sens parfois une déception ou moins pire, une désillusion partagée, mais peut-être était-ce simplement un hasard de mes relations. Aussi, ai-je été surprise de constater du nombre de connaissances ayant un master et ne travaillant absolument pas dans le secteur de leurs études. Leurs études ont-elles été vaines ? Le système des études supérieures est-il une vaste blague ou juste une succession de mauvaises orientations? Pour en avoir le cœur net, les opinions ont été recueillies à la source, c’est-à-dire auprès des étudiant.e.s de notre cher campus de Beaulieu. La fac est-elle vecteur de passion, de désillusions ou quelque part entre les deux ?

 

Attentes VS Réalités


 

          Tout d’abord il semblait essentiel de découvrir si la fac correspondait à son image et les avis à ce sujet ont été plutôt mitigés. Parfois la surprise face à la quantité de travail, beaucoup plus importante que “promise” déconcerte, ou encore comme l’a dit une élève de L2 BO3E “la vie étudiante est presque inexistante et les soirées d’intégrations sont décevantes”. Mais pour contrebalancer, l’autre moitié des interviewé.e.s considère que ça correspond à l’idée qu’iels en avaient, avec notamment pour un L2 de la même filière “la liberté, enfin pouvoir recommencer une vie où je peux être moi-même et rencontrer des gens qui me ressemblent (contrairement au lycée)”.

Il ne faut pas oublier que beaucoup n’avaient pas d’idées précises de ce que pouvait être la fac, et de ce fait n’avaient aucune attente, donc pas de bonne ou de mauvaise surprise.

Il n’y a pas de vraie tendance qui se dessine par rapport aux attentes, alors peut-être que la réalité de la fac n’est pas bien claire pour les futur.e.s étudiant.e.s ? 

 

Mais alors, QUID de l’orientation ?

 

         Et oui ! Est-ce que vos objectifs en venant à la fac se concrétisent ou au contraire avez-vous été “mésorienté.e.s”? Avant toute chose, avez-vous été aidé.e.s pour choisir votre parcours scolaire ? 

Ce qui revient presque à chaque fois c’est la L1. Cette L1 “ trop généraliste, avec des matières qui ne serviront pas du tout”. Là-dessus beaucoup s’accordent. En découle une première année très difficile, car comment s’investir dans des matières que nous trouvons inutiles dans notre projet et que nous abandonnerons à la première occasion ? Une réponse possible : les profs ! 

En effet, ce qui revient aussi, c’est l’importance capitale des profs dans notre orientation. Parfois on choisit une matière uniquement pour les enseignant.e.s, et on peut devenir passionné.e.s de physique grâce aux cours incroyables d’un prof qui rend la thermodynamique fun alors qu’on a eu 9 au bac (hmm anecdote absolument pas personnelle). En bref, les profs ont un rôle déterminant dans l’orientation de beaucoup d’entre nous.

Enfin, le manque de suivi au sein de la fac est revenu en masse, comme le raconte cet élève de L2 “il n’y a personne qui s’intéresse à savoir si on est au bon endroit. Mon orientation je l’ai fait moi-même, et si je suis dans la bonne filière n’est pas le problème de la fac”. 

Dans l’ensemble les étudiant.e.s semblent se trouver dans la bonne voie.

 

 Et le bonheur dans tout ça ?

 

          Pour ma part, j’ai fait une pause dans mes études car je ne comprenais pas vers quoi ça me menait, je ressentais une absurdité et pour faire court, je n’étais pas du tout (mais alors pas du tout du tout) heureuse. Fort heureusement, ça s’est bien amélioré, mais comment vont les autres étudiant.e.s ? Est-ce que leur expérience universitaire leur plaît ?

Il faut rappeler que le (la, pour l’Académie française) Covid est venu bien chambouler la vie étudiante “normale”, et que les interviewé.e.s étant principalement des L1 et L2, ils n’ont connu presque que cette situation spéciale, comme le raconte cette élève de L1 BECV “le Covid donne vraiment l’impression de passer à-côté de quelque chose, donc expérience moyenne et vie étudiante inexistante”.

Le manque de vie étudiante, de sociabilisation est clairement le gros problème qui impacte énormément le bonheur des étudiant.e.s. Les L1 ont mis en place un groupe discord dans lequel il y avait une entraide par rapport aux cours, et aussi un canal soutien et confessions qui durant une partie de l’année était le canal le plus utilisé. La détresse partagée dans ce groupe était telle que certain.e.s ont déclaré être étonné.e.s qu’il n’y ait pas eu de suicide. Cette entraide a vraiment aidé les L1 à tenir le coup cette année. 

On peut aussi remercier certain.e.s profs qui ont fait au mieux pour aider et comprendre les élèves. M. Denis Poinsot qui a expliqué en cours ce qu’était la dépression et que faire si nous en souffrions m’a beaucoup touchée, j’espère que d’autres aussi. Pour avoir été en dépression, j'aurais aimé entendre ça de mes profs à ce moment-là. 

L’autonomie est aussi à apprendre et la solitude à dompter, mais malgré les difficultés ça semble être un défi formateur dans l’ensemble.

Aussi, le contenu des cours influe sur l’épanouissement, et les élèves qui apprécient leurs cours et qui estiment être bien orienté.e.s n’ont pas ce problème à gérer, ce qui leur enlève une sacrée épine du pied.

Ce qui semble donc être le facteur déterminant du bonheur des étudiant.e.s à la fac, c'est les ami.e.s. Citons cette   élève : “parfois j’en ai marre et j’ai envie de tout plaquer, mais quand je vois les copains ça va mieux, ça me rend heureuse”.

 

La fac plaît et déplaît, déçoit et réalise, mais elle laisse rarement dans l’indifférence. De la communication sur la réalité de la fac, une aide pour l’orientation, et la nécessité de tisser des liens entre élèves sont donc les points à améliorer pour rendre les étudiant.e.s plus épanoui.e.s dans leurs chemins universitaires. 

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