Présomption d’innocence
Attention cet article parle d’agressions sexuelles
La présomption d’innocence est le principe selon lequel toute personne qui se voit reprocher une infraction est dite innocente tant que sa culpabilité n’a pas été prouvée. En France, ce principe date de l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789. Actuellement, l’application de la présomption d’innocence requiert une instruction (c’est-à-dire les formalités pour mettre une affaire en état d’être jugée), dont l’issue peut être un non-lieu ou à la démonstration de la culpabilité de l’accusé.e.
Cet article né d’une affaire difficile et assez tragique, l’agression sexuelle d’une camarade du Beaulieusard que nous appellerons « Julie ». Julie a été agressée par un ami proche, elle est allée porter plainte le jour même de son agression. Le but ici n’est pas de rappeler l’inaptitude de la police et gendarmerie face aux victimes de violences sexuelles ou sexistes, mais il est amusant de préciser que Julie a été rappelée qu’elle portait une tenue courte et comportant un peu de dentelle, ce qui apparemment constitue une excuse pour son agresseur. Aussi, bien que Julie se soit violemment défendue et que ce soit en raison de ses coups que son agresseur ait stoppé ces actes, les officiers lui ont dit que ce n’était pas une tentative de viol mais juste une agression sexuelle, car c’est l’agresseur qui a changé d’avis, parce que ce n’est pas elle qui aurait pu l’arrêter.
Les officiers ont demandé à notre amie Julie ce qu’elle espérait en déposant cette plainte, ce à quoi elle répondit qu’elle voulait simplement qu’il ne puisse plus l’approcher, car elle se sentait en danger qu’il l’agresse à nouveau, ou pire. L’enquête a été mal menée, sans aucun examen médico-légal des marques sur son corps ou de son état psychologique. Donc affaire classée sans suite.
S’ensuit une longue période affreuse pour Julie, stress post-traumatique, dépression, tentatives de suicides. Son agresseur traînant toujours près de chez elle, jouissant de la voir souffrir, d’avoir un non-lieu et d’avoir une vie qu’il n’aura pas à reconstruire.
Julie va très bien aujourd’hui, mais dire que c’était extrêmement difficile n’est rien comparé à la réalité de ces dernières années pour elle. Et surtout elle a toujours un peu peur car son agresseur n’a pas tourné la page et n’est jamais loin d’elle, et elle ne peut pas parler. Si Julie souhaitait témoigner à nom découvert, elle pourrait être accusée de diffamation.
Dans l’histoire de Julie, qui est pourtant tristement banale au milieu de cet océan de témoignages similaires, ce qui est terrible c’est qu’elle n’a pas été considérée comme une potentielle victime mais comme une potentielle menteuse. De la police elle n’a reçu que soupçons, tandis que l’agresseur était considéré comme potentiel innocent dont l’innocence et la liberté devaient être avant tout préservées. Aucune mesure n’a été prise pour protéger Julie qui était en danger. Et à cause de l’enquête mal menée il n’y avait pas de preuves, et, bien que des témoignages étaient en faveur de Julie, il y a eu un non-lieu. Donc quand il y a la parole d’une potentielle victime contre celle d’un potentiel agresseur (même en présence de témoins) c’est ce dernier qui l’emporte ?
Personne ne veut être accusé à tort, aller en prison sur le faux témoignage de quelqu’un de rancunier, déstabilisé ou simplement à cause d’une erreur judiciaire. Mais personne ne veut que son enfant soit dans la classe d’un professeur soupçonné de pédophilie, bien que la présomption d’innocence voudrait qu’il continue d’enseigner avec des enfants tant que sa culpabilité n’est pas démontrée.
En 2005, un enseignant de 52 ans reçoit une plainte pour « agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans par personne ayant l’autorité », plusieurs autres filles viennent témoigner des mêmes faits et l’enseignant est immédiatement suspendu. Les plaignantes se rétractent en expliquant qu’elles ont menti mais l’affaire continue et dure 43 mois au bout desquels l’homme est finalement innocenté.
Nous sommes ici face à un cas où la personne soupçonnée n’a pas été considérée entièrement comme innocente puisqu’elle a été suspendue de son travail alors que sa culpabilité n’avait pas été établie. Il y a ici la volonté de protéger les autres enfants tant qu’il n’est pas déterminé si l’enseignant est coupable ou non. En ce faisant, l’innocence de l’homme n’a pas été présumée.
Il y a La Chasse, film Thomas Vinterberg avec notamment Mads Mikkelson, qui date de 2012, qui illustre l’histoire d’un homme qui travaille avec des enfants et qui est accusé à tord de pédophilie, et bien que son innocence soit établie, les doutes des parents ne disparaîtront jamais vraiment. Ce film démontre que la présomption d’innocence de la part des gens n’existe pas vraiment pour ce genre de situations. Une fausse accusation a ruiné la vie du protagoniste et de sa famille dans l’œuvre car le doute n’est jamais parti des esprits des habitants de la ville.
Le cas contraire, celui d’une présomption d’innocence qui serait (peut-être?) injustifiée, est bien plus simple à illustrer. Nombre sont les célébrités connues pour des faits d’agression ou de violences sexuelles qui ne sont pourtant pas arrêtées ou condamnées, qui continuent d’exercer leurs professions en toute impunité. Par exemple, Gabriel Matzneff, écrivain qui est accusé par Vanessa Springora d’avoir eu des relations sexuelles avec elle lorsqu’elle avait 14 ans et lui 50. Il n’est pas inculpé. Il est pourtant de notoriété publique que cet homme a un penchant pédophile puisque le confesse lui-même dans ses livres ou interviews. Comme l’explique le journal Le Monde, le milieu littéraire a longtemps toléré son attirance pour les mineurs « de moins de 16 ans » et ses voyages en Asie pour le tourisme sexuel des enfants.
Roméo Elvis, rappeur récemment accusé d’agression sexuelle a reconnu publiquement son geste et il n’est pourtant pas inquiété (en tout cas, aucune source ne permet de le dire actuellement). Pourtant selon la loi l'auteur d'une agression sexuelle ou d'une tentative d'agression sexuelle encourt une peine de 5 années d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende, mais Roméo ne semble pas souffrir d’un lourd impact sur sa carrière, puisqu’il continue de produire du contenu. Qu’en est-il de la victime ?
Ces cas nous montrent que juger trop vite un.e innocent.e peut être lourd de conséquence sur sa vie mais que ne pas condamner assez vite un.e coupable ou ne pas la.e condamner du tout peut briser encore plus de vies. Et la victime dans tout ça ?
Nous avons bien conscience que la présomption d’innocence n’est pas un sujet simple et binaire et nous tenons à mettre en perspective le fait qu’il y ait extrêmement peu de faux témoignages sur les agressions sexuelles, encore plus lorsque l’on compare avec le nombre de non-lieux. Une étude menée par The Enliven Project en 2013 apporte cette image parlante :
Il y a aussi une étude du National Sexual Violence Resource Center de 2012, qui estime que les fausses accusations de viol représentent 2 à 10% des accusations.
Et on peut retrouver des études similaires menées ailleurs dans le monde. Donc tous ces crimes qui se soldent par un non-lieu, ne donneraient-ils pas un sentiment d’impunité aux prédateurs sexuels ?
Il y a une proposition émise par la sociologue Irène Théry, pour une présomption de véracité, qui aurait pour but d’apporter une solution aux victimes qui ont subi des crimes sans témoins (comme il est très souvent le cas dans les crimes sexuels). Ne remettant pas en cause la présomption d’innocence, Irène Théry explique : « En droit, la présomption d'innocence signifie que la charge de la preuve est à l'accusation. Avec deux présomptions face à face, on ne saurait plus qui a la charge de la preuve ». Ainsi l’accusé.e ne pourrait pas se retourner contre la victime et l’accuser de calomnie.
Ce serait un essaie pour établir une meilleure égalité face à la justice entre la personne plaignante et celle accusée. Et Julie pourrait enfin parler sans peur.
https://www.liberation.fr/societe/2009/05/04/accuse-de-pedophilie-a-tort-durant-43-mois_555952/
https://droit-finances.commentcamarche.com/faq/4282-presomption-d-innocence-definition
https://sarahbeaulieu.me/the-enliven-project
https://egalitaria.fr/2018/10/28/le-mythe-des-fausses-accusations-de-viol/
https://www.philomag.com/articles/crimes-sexuels-pour-une-presomption-de-veracite
