Lents demains de soirées
Emmitouflé.e dans une couette ou à flâner dans l’herbe au soleil, seul.e ou entre potes, les lendemains de soirées sont souvent hors du temps. Ce sont des journées perdues d’avance, que l’on savoure de tout son corps. Si vivant du dedans, entre le ventre qui grouille, la tête qui tourne et le sifflement de notre respiration, plus aucune pensée cohérente ne traverse notre esprit. On transpire sous la couette, on butte contre le coin de la table et on se résigne finalement à guérir en silence sur son matelas trop chaud et trop froid, loin du soleil qui filtre à travers les volets. On se noie sous la douche, dont on baisse résolument la température; on avait beau être chaud patate hier, aujourd’hui on prend des airs de bougie soufflée.
On rejoue de temps en temps l’histoire de la veille, sauf que cette fois, c’est nous qui nous vidons et non la bouteille... Dans ces moments, les chambres de Crous sont plus que désirables: les toilettes sont directement incorporées à la douche ! Une journée perdue peut-être, mais pas question de perdre de temps pour le trajet douche-toilettes-lit-lavabo. Les architectes du Crous avaient décidément le bien-être étudiant en tête lors de la conception de leurs cellules d’habitation...
Mais revenons au sentiment viscéral de ces lendemains de soirée. Tout est plus fort, du bruit de son voisin de palier à la dernière chanson de Zazie qui passe à la radio de la personne qui fait le ménage dans le couloir. La couette est plus rêche et nos mains sèches reconnaissent avec peine les surfaces dont on a l’habitude. Dans le massacre de notre quotidien, on se tient comme un sultan qui se donne son temps, pacha dans son palais et qui n’a de soucis que pour soi-même. On se prend à enchaîner des vidéos de chats dansant sur “Call Me Maybe” avec des compilations des meilleurs bloopers de Jean Castex. Viennent alors les coups de 16 heures sans qu’on y prenne garde, et notre temps est déjà fini. La nausée s’est un peu calmée, et l’on est capable d’ouvrir le volet en entier, parfois même de sortir dehors (jusqu’à 19h bien entendu). Quelle joie alors ! Quelle joie de faire corps avec son lit, son appartement, le carré de ciel qui passe par la fenêtre, le parc et les cris des oiseaux qui nous hérissent les tympans ! Quelle joie de sentir ce lent demain de soirée qui nous quitte après nous avoir ancré pour de bon dans le monde. Tout passe devant nos yeux comme au théâtre, et devant ce spectacle absurde et grandiose, on a enfin la sensation de faire partie du cadre. Une fois rentré.e, vers 20 heures, une pensée s’articule enfin devant nos pâtes au beurre, “plus jamais ça”, et pourtant... A quand la prochaine ?