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Dealeur, une carrière d’avenir ?

 

 

     Je suis parti me renseigner auprès d’un ancien dealeur de Rennes qui a eu une expérience de plusieurs mois passés sur le terrain à vendre des consommations allant de 5€ à 20€. La personne que j’ai interviewée a préféré l’anonymat. Je lui ai posé quelques questions que tout le monde se pose, et il m’a donné quelques réponses assez précises nous permettant de nous éclairer pour notre article.

     Voici donc les révélations de Skyrax, 20 ans, ancien dealeur de cannabis sur le terrain, qui nous explique que tout plaquer pour devenir dealeur a ses avantages et ses inconvénients.

 

Est-ce que le dealeur consomme ce qu’il vend ?

 

     Il peut le consommer mais c’est très déconseillé. C’est assez mal vu de voir que le vendeur peut être défoncé devant les clients, et ça donne ensuite une mauvaise image de toute l’entreprise qu’il y a derrière. Aussi, si il consomme ce qu’il est censé vendre, alors il doit payer pour avoir acheté. Cela peut être bizarre mais sur le terrain, les dealeurs achètent à d’autres dealeurs leurs consommations et n’achètent pas ce qu’ils vendent eux-mêmes. 

 

Est-ce qu’il faut tout plaquer pour devenir dealeur ?

 

     Voilà une question difficile … Déjà, il y a deux types de dealeurs : les dealeurs qui vendent sur le terrain comme à Maurepas ou au Blosne, qui viennent voir le consommateur ou le potentiel acheteur et qui proposent leurs marchandises directement ; et il y a le dealeur particulier, qui fait pousser lui-même, qui vend seulement à quelques personnes de confiance et qui a des tarifs plus élevés. Si tu es un dealeur particulier, c’est toi qui gères ta propre entreprise, donc tu gères tes horaires, à qui tu vends, où tu vends … Donc oui et non, tu n’es pas obligé de tout plaquer pour t’y consacrer pleinement, mais si tu veux gagner beaucoup, il faut quand même t’impliquer un minimum. 

     Pour le cas des dealeurs sur le terrain, c’est un peu plus compliqué. Le gérant te demande de t’y mettre à fond pour vendre, et malheureusement, ça impacte les plus jeunes qui sont attirés par le gain d’argent rapide mais qui ne se rendent pas compte des conséquences ensuite. Quand j’étais dealeur sur le terrain, on m’a demandé de lâcher les formations que j’étais en train de passer pour m’y consacrer pleinement et pour vendre un maximum. C’était assez difficile pour moi et c’est pour ça d’ailleurs que j’ai « pris ma retraite » quelques mois plus tard. Mais on ne peut pas non plus présenter sa démission d’un coup, loin de là ! Quand j’ai arrêté, j’avais peur de sortir de chez moi parce que le gérant m’avait menacé ! Je me suis fait passer à tabac plusieurs fois parce que j’avais arrêté. 


 

Vous avez utilisé plusieurs fois le terme de « dealeur sur le terrain », est-ce que cela veut dire qu’il y a une hiérarchie ? Donc possiblement des promotions ?

 

     Oui, il y a une hiérarchie dans les entreprises « secrètes » de vente de drogues. Dans l’entreprise dans laquelle je travaillais, il y avait 5 types de personnes. Tout d’abord, comme pour toute entreprise, il y a le gérant. Je ne sais pas grand-chose sur lui, mais il va rencontrer au moins une fois tous ses « salariés » pour leur donner le travail qu’ils ont à faire, en fonction de leur situation (si appartement à Rennes et vit seul, alors tu seras ça, …). Ce sont aussi les plus exigeants, ce sont eux qui te demandent de tout lâcher pour t’y consacrer pleinement : en fait, ils te demandent de ne rien faire d’autre que dealeur puisque tu dois arrêter tes études pour en devenir un. 

Ensuite, il y a les dealeurs de terrain, dont j’ai parlé précédemment. Ce sont les personnes qui ont des sachets de consommation dans leurs sacs, qui vont avoir un endroit à gérer, et qui viennent voir le potentiel acheteur pour leur proposer leurs services.

     Sur le terrain, il y a aussi les guetteurs : ce sont eux qui vont être de chaque côté d’un quartier pour envoyer des messages aux dealeurs ou les appeler pour les prévenir de l’arrivée des policiers. 

     Ensuite, il y a les nourrices. Ce sont des personnes qui font pousser chez eux, ou qui récupèrent la marchandise présente chez le gérant, et qui garde cette dernière jusqu’à l’arrivée des détailleurs. 

     Les détailleurs ont sur eux une toute petite balance et des sachets en plastique, leur permettant de créer ensuite la marchandise qui sera vendue sur le terrain. Les dealeurs de terrain parlent souvent de « 5€, 10€ ou encore 20€ » mais on ne parle jamais directement de consommation, par peur des micros. Les 10€ par exemple sont des sachets de 1g (gramme) de cannabis.

Il n’y a pas de promotions directes. Mais si sa situation personnelle change (appartement, mutation, famille …), la nourrice peut devenir guetteur pour éviter de faire tomber l’entreprise par exemple.

 

Comment se fait le recrutement ?

 

     Il faut avoir des connaissances. On s’imagine bien qu’on ne peut pas demander à un dealeur de terrain qu’on aimerait devenir comme lui plus tard ! Mais il faut avoir des connaissances dans ce milieu, avoir des contacts qui nous mettent en relation avec le gérant qui nous dira ensuite : tu vas faire ça et ça, tu vas vendre ici et là … 

Est-ce que vous considérez que dealeur est une carrière d’avenir ?

 

     Si c’est une carrière d’avenir ? Non, je ne pense pas. Pas pour les dealeurs de terrain en tout cas. On ne peut clairement pas en vivre. On doit toujours se faire discret pour échapper à la police, on est un peu prisonnier de l’entreprise qui nous a volé notre avenir en fait. 

     Cependant, pour le dealeur particulier, c’est une possibilité. Il se mouille, certes, mais les risques sont plus limités. Il choisit lui-même ses acheteurs, qui sont souvent ses amis. De plus, il peut se déplacer avec sa voiture, donc aller directement chez ses acheteurs pour leur vendre ce qui a été prévu. Mais encore une fois, c’est un travail monstre : faire pousser ou s’en procurer, garder tout ça chez soi, éviter quand même les caméras de surveillance pour ne pas avoir l’air trop suspect … Cela demande beaucoup de travail.

 

________________________________________________________________________________________________Droit de réponse

 

"Je comprends pas qu'on puisse banaliser la vente et faire passer ça pour un plan de carrière. Ça a jamais été aussi relou que maintenant de se fournir. La loi n'aide pas, mais la loi ne veut pas aider en même temps (à contre-courant des autres pays européens). Même chose pour la production, une activité peut s'arrêter du jour au lendemain s'il y a un risque de perquisition. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai arrêté, suite à une vague de perquisition dans le réseau." 

Merci à L., consommateur (occasionnel) et ancien producteur pour son témoignage.

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